Cancer du sein et ostéopathie : mémoire - discussion
Efficacité de la prise en charge ostéopathique sur la qualité de vie des femmes en cours de traitement pour un cancer du sein :
Étude expérimentale
Discussion
4.1. Analyse des résultats
4.1.1. Douleur physique
La douleur physique à la suite de traitements pour un cancer du sein est un effet secondaire fréquent et altérant de manière quotidienne la qualité de vie des patientes(22). Suite à l’étude des résultats de notre questionnaire, nous avons remarqué une diminution des moyennes portant sur les questions pour la douleur dans le bras/épaule, dans la région du sein, ou musculaires (figure 3) ainsi qu’une diminution significative des picotements dans les doigts et les orteils entre la première et la deuxième consultation (tableau 1 et figure 3).
Les douleurs neuropathiques étant fréquentes à la suite de tumeur, 15 à 25% des patients sont susceptibles de présenter une douleur neuropathique. Elles font suite soit à la tumeur elle-même (complications tumorales infiltratives ou compressives) soit aux traitements donc chimio-induites, radio-induites ou encore post-chirurgicales(23). De la même façon dans la littérature, on retrouve une étude portant sur les douleurs chroniques post-mastectomie visant à améliorer le contrôle de celle-ci et la qualité de vie des patientes. Cette expérience a montré que la prise en charge ostéopathique de ces patientes avait permis une amélioration de la qualité de vie significative(16).
En revanche, on retrouve un manque d’évolution positive des moyennes portant sur les questions de problèmes, de raideurs et de douleurs articulaires (figure 3). Ce qui est en contradiction avec la littérature car des articles montrent que l’ostéopathie améliorerait les douleurs et les dysfonctions articulaires (24) et de plus la thérapie manuelle qui permettrait d’allier mouvements et exercices serait de plus en plus importante dans la prise en charge de problématiques du système musculo-squelettique(25). A l’inverse, la sédentarité représenterait d’une part des facteurs de risques pour de nombreuses pathologies mais serait également délétère dans les douleurs musculo-squelettiques(26,27). Ces résultats peuvent s’expliquer par le manque d’activité physique et la sédentarité imposé par le confinement dans le cadre de la pandémie du COVID-19. En effet, il a été démontré qu’une alimentation et une activité physique régulière appropriées permettaient de diminuer le risque de récidive du cancer et d’améliorer la qualité de vie des patients(28,29). En sachant, que les cartes somatosensorielles diffèrent entre les patients sains et les patients douloureux(30), nous savons aussi que le toucher ou la pression permet d’activer les zones corticales correspondantes(31). Donc les techniques manuelles telles qu’utilisées en ostéopathie pourraient permettre d’améliorer la représentation corticale de la zone de la douleur chez les patients. En outre, l’explication pédagogique de la neuroplastie pour une technique manuelle parait significativement plus efficace qu’une explication biomécanique (32). Enfin, notre efficacité peut également s’expliquer par le fait que la thérapie manuelle augmente le flux sanguin et donc les nutriments et l’oxygénation de la zone traitée ce qui permet une meilleure mobilité et flexibilité des tissus(33). Qui plus est l’ostéopathie semble avoir un effet anti-inflammatoire et modifier les états de sensibilisation(34).
4.1.2. Inconfort
Après l’étude de nos résultats, on observe une diminution du score aux questions sur les bouffées de chaleur, le fait de se sentir malade et les sautes d’humeurs. Ces 3 items peuvent être liés à la diminution de l’anxiété provoquée par une prise en charge ostéopathique(35–38).
Premièrement, les bouffées de chaleur surviennent lorsque l’œstrogène diminue dans le sang. Elles sont présentes lors de traitement pour un cancer du sein notamment dans les hormonothérapies traitées par exemple par Tamoxifène, Arimidex etc. car ces molécules bloquent l’action stimulante de l’œstrogène sur les seins(39).
Outre les recommandations non médicamenteuses pour y faire face, l’exercice et la relaxation aident également à diminuer les bouffées de chaleur. Nous savons grâce à une étude que le traitement ostéopathique peut avoir des effets positifs sur l’anxiété, sur la peur, sur la qualité de vie des patients et contribue donc à une forme de relaxation(40). De plus, un autre article décrit une diminution significative de l’anxiété, de la douleur et des dysfonctionnements de santé mentale sur une population souffrant de douleurs chroniques, à la suite d’un traitement ostéopathique sur deux semaines(35). Même si cela reste encore controversé, l’effet parasympathique que pourraient produire certaines techniques ostéopathiques contribuerait également à la baisse de l’anxiété et à l’augmentation de la relaxation(35–38). De la même façon, on retrouve aussi dans la littérature une étude montrant qu’un traitement manipulatif ostéopathique (TMO) basé sur les besoins du patient augmenterait l’activité de la fonction parasympathique et au contraire diminuerait l’activité sympathique (génératrice de stress)(41). On peut donc associer la diminution du score aux questions sur les bouffées de chaleur (figure 4) à la diminution de l’anxiété engendrée par une prise en charge ostéopathique adaptée à la patiente et également par les conseils d’exercices et d’activité physique donnés.
Ensuite, on note aussi une diminution du score des moyennes pour les questions sur la sensation d’être malade et les sautes d’humeur (figure 4). Ces dernières sont en majeures partie dues à des variations hormonales (dont la baisse d’œstrogènes que l’on retrouve dans les traitements à base d’hormonothérapies(42) ou similaire à la ménopause(43)). En outre, on ne peut pas ignorer que la sensation d’être malade ou la peur d’une récidive soit étroitement liée au développement d’une forme d’anxiété(44,45). Comme nous l’avons vu plus haut, le traitement ostéopathique permettrait d’avoir des effets sur l’anxiété, la peur, la qualité de vie ainsi que sur l’état de santé général (40), donc la prise en charge ostéopathique permettrait également un accompagnement sur le plan psychologique.
Enfin, on ne trouve pas d’évolution positive pour la bouche sèche, le goût inhabituel, les yeux irrités, les maux de tête et la tête qui tourne (figure 4). En revanche, des articles montrent que le traitement ostéopathique peut contribuer à faire diminuer les maux de tête(46,47). Nous pouvons supposer que ce manque d’efficacité sur ces items serait dû d’une part au contexte particulier de confinement et de pandémie, et d’autre part par un manque d’intention de traiter ces problématiques quand elles n’étaient pas énoncées à l’anamnèse.
4.1.3. Estime de soi
Des études montrent que les femmes ayant subi un traitement chirurgical pour un cancer du sein ont une vision et un ressenti totalement différents de leur corps et de leur apparence à la suite de la maladie(48,49). Dans notre étude, on remarque une diminution des moyennes aux questions portant sur le fait de se sentir moins attirante, moins féminine à cause de la maladie et des traitements ainsi que de l’insatisfaction physique (figure 5). L’approche ostéopathique du corps et des thérapies manuelles de manière plus générale, permet aux patients d’améliorer leur proprioception(50) et la connaissance de leur corps via l’éducation thérapeutique en expliquant l’anatomie, la physiologie ou les techniques utilisées ainsi que leur but ; de plus on peut supposer que cela permet de mieux comprendre son corps et ses besoins et donc d’améliorer la confiance en soi. Ainsi, dans la littérature un article compare un groupe témoin avec un groupe traité par massage et conclut sur le fait que le massage a permis d’augmenter l’acuité proprioceptive et la force musculaire des patients(51) et un second explique que la physiothérapie a amélioré la relation entre la sensori-motricité et la représentation corporelle chez des patients souffrant de lésion de la moelle épinière(52). De surcroît, des études montrent que l’ostéopathie peut diminuer le stress émotionnel et psychologique chez certains patients(53) et que cette action est due entre autre au « toucher thérapeutique »(54)(55) ainsi que l’anxiété comme vu précédemment(35,40). Le toucher thérapeutique apparait comme un moyen de communication privilégié avec le corps du patient, il rend les techniques et la prise en charge plus humaine, et apporte un aspect affectif qui augmente la sensation de sécurité. (56)
A l’inverse, on observe une légère hausse de la difficulté à se regarder nue (figure 5), cela peut s’expliquer par le changement de perception et de vision du corps que les patientes présentent(48,49). En effet, certaines patientes nous ont confié au cours des consultations qu’elles avaient l’impression que leur corps était devenu un objet qui devait être réparé, ajouté au fait qu’elles ont dû montrer leur corps quasiment nu au personnel soignant régulièrement. Nous avons donc compris que le rapport à leur corps et la pudeur étaient largement modifiés et que de se regarder nue évoquait parfois leur maladie ou leur parcours de soin.
4.1.4. Appréhension pour la santé à l’avenir
Le taux de récidive après 5 ans de traitement endocrinien d’un cancer du sein oscille entre 10 et 41% selon une étude anglaise(57). Donc la manière dont s’inquiètent les patientes pour leur santé à l’avenir est un aspect non négligeable de la prise en charge. Il existe un questionnaire pour évaluer la peur de la récidive chez les survivantes de cancer du sein tant cette inquiétude est présente chez ces patientes(44). Une étude conclut sur le fait que cette inquiétude altère la qualité de vie des patientes qui ont survécu à un cancer du sein(45). Dans nos résultats (figure 6), on observe une diminution significative (tableau 4) du score à cette question. Comme nous l’avons vu précédemment, l’approche ostéopathique permet de réduire l’anxiété et d’améliorer la qualité de vie des patients(40), ce qui expliquerait pourquoi l’inquiétude des patientes a significativement diminué au cours des consultations. De plus, l’approche holistique et l’éducation thérapeutique mise en place dans une consultation d’ostéopathie ont permis de rassurer les patientes et sûrement d’améliorer la conscientisation de leur corps (50). Outre la prise en charge ostéopathique, nous savons grâce à une étude que le « toucher thérapeutique » a déjà une action sur l’état émotionnel des patients(54) et tout particulièrement chez les patients atteints de cancer chez qui cette approche non invasive semble améliorer leur état de santé. En effet, d’après les réponses subjectives des patients à une étude le « toucher thérapeutique » permettrait d’améliorer leur humeur et leur bien-être, et inversement de diminuer leurs douleurs, les nausées, l’anxiété et la fatigue. De plus, l’étude a permis de noter l’amélioration de facteurs comportementaux comme l’inquiétude, les accès de colère ainsi que l’agitation(55). Une autre étude confirme que le « toucher thérapeutique » favorise la relation de confiance, le lâcher-prise, et permettrait une relaxation physique, psychologique et émotionnelle(58). Enfin, des articles montrent l’interrelation existante entre la douleur chronique et l’anxiété(59)(60). C’est pourquoi en diminuant certaines douleurs, l’anxiété et l’inquiétude diminuent au fil du temps. Ou à l’inverse en diminuant l’anxiété par exemple par la prise en charge, l’écoute ou le toucher les douleurs peuvent s’amoindrir sur certains point (figure 3) et que la qualité de vie peut augmenter.
4.2. Ouverture sur un questionnaire
Dans notre étude, il était question de trois consultations (évaluation sur 2 consultations) et donc de trois questionnaires par patiente. En outre, nous avons eu 11 patientes qui ont participé à l’étude et dont les résultats étaient exploitables. Cependant, nous nous sommes aperçues que dans notre cas certaines questions n’étaient pas adaptées soit à la situation soit aux patientes.
D’une part, du fait d’un échantillon insuffisant, la part de patiente sous chimiothérapie était seulement de 9% (figure 2). Alors les questions s’adressant à ce type de patientes n’étaient en réalité non exploitables (annexe I : questions 4 et 5). D’autre part, quelques questions portaient sur la vie sexuelle et le confort vaginal des patientes sous traitement (annexe I : questions 14, 15, 16, et de 40 à 45). Certaines patientes ne se sentaient pas concernées par ces questions car elles n’avaient soit pas de vie sexuelle soit ne comprenaient pas l’intérêt ou se sentaient gênées dans le cadre d’une consultation ostéopathique de parler de ce sujet. Enfin, plusieurs symptômes abordés dans des questions ne concernaient aucune patiente de notre échantillon (annexe I : questions 23, 27, 28, 30, 38, 39).
Nous aimerions donc dans cette partie proposer une adaptation du questionnaire à la prise en charge ostéopathique pour les patientes sous traitement pour un cancer du sein à partir de l’expérience tirée de cette étude. Nous avons donc repris le questionnaire utilisé dans cette étude, le QLQ-BR45 traduit en français (annexe I), ainsi que le questionnaire de qualité de vie pour les patients atteint de cancer QLQ-C30(18) et un questionnaire permettant de détecter le niveau de peur pour une récidive de cancer du sein, le CWS (Cancer Worry Scale)(44).
Ce questionnaire (annexe V) a été imaginé dans le but d’une prise en charge ostéopathique de patientes souffrant des effets secondaires de leur traitement pour un cancer du sein. Il permettrait de connaître efficacement le degré de gêne ressenti par les patientes au niveau de leurs douleurs physiques, de leur inconfort dans la vie quotidienne, de la modification de l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et enfin de l’appréhension qu’elles ressentent pour leur santé à l’avenir. Il serait adapté à la prise en charge de ces patientes à la clinique A Mains Nues par exemple ou en cabinet de ville, car il concerne principalement des patientes en capacité d’y répondre, de se déplacer et ayant un minimum d’autonomie.
4.3. Forces et faiblesses de notre étude
La période de confinement du 17/03/2020 au 11/05/2020 suite à la pandémie du COVID-19 a été mise en place au milieu de notre période de recrutement. En effet, nous avions entamer des protocoles avec des patientes qui n’ont donc pas pu aboutir.
Au vu du sujet de notre étude impliquant des individus à la santé fragile, nous avions fait le choix, que nous trouvions plus éthique, de ne pas reprendre le recrutement immédiatement à la fin du confinement. Or, le deuxième confinement de novembre 2020 a également inquiété certaines patientes qui n’ont pas osé venir à la dernière consultation et ont préféré juste nous envoyer le questionnaire par mail.
De plus, la majorité des patientes ont été recrutées via la Ligue contre le cancer 93.
Ensuite, même si nous nous étions mises d’accord sur le type de prise en charge que nous souhaitions pour notre étude, nous avons été 2 praticiennes avec deux attitudes, deux manières de faire certainement différentes.
Et enfin, pour toutes nos patientes nous avons dû porter le masque chirurgical dans nos consultations. Le masque cachant une partie du visage et donc des expressions faciales peut mettre une barrière dans la relation patient-praticien.
Gladys Faure
Ostéopathe DO
A Nandy - 77